Homélie du XXXIème dimanche dans l’année, en la Cathédrale de Tournai, le 30 octobre
Homélie du XXXIème dimanche dans l'année
en la Cathédrale de Tournai
le 30 octobre 2016
Le livre de la Sagesse semble rédigé par un Juif d'Alexandrie en Egypte, à partir de 50 avant Jésus-Christ, ou même à partir de 30 avant Jésus-Christ, date de la prise d'Alexandrie par le général romain Octave, qui sera appelé plus tard Auguste. Fondée en 332-331 avant Jésus-Christ par le roi de Macédoine Alexandre le Grand, Alexandrie est devenue le foyer international de la culture grecque. Les savants du monde entier sont allés à Alexandrie pour y rencontrer des chercheurs et des professeurs de la civilisation hellénistique. La ville avait une bibliothèque de 700.000 volumes.
En quittant l'Egypte, sous la conduite de Moïse au XIIIème siècle avant Jésus-Christ, les Hébreux s'étaient installés en Canaan. La politique internationale après la mort de Salomon, fils de David, avait bouleversé le royaume de David, si bien que des déportations avaient éloigné beaucoup de Juifs de leur terre d'origine. On en retrouve en Assyrie, avec la ville de Ninive, l'actuelle ville de Mossoul en Irak ; à Babylone, non loin de Bagdad en Irak ; et en Egypte. La communauté juive d'Egypte a investi une partie de la ville d'Alexandrie, où la langue commune était le grec. Au fil du temps, la Bible en langue hébraïque a été traduite en langue grecque. Des hommes de lettres juifs, imprégnés de la tradition de leurs Pères et des textes bibliques, ont rédigé des ouvrages dans la langue grecque. Le livre de la Sagesse fait partie de ces ouvrages. Nous avons donc ici un témoin du premier siècle avant Jésus-Christ de la tradition religieuse juive rédigé en dehors de Jérusalem. Après la conquête d'Alexandrie par les Romains, en 30 avant Jésus-Christ, les Juifs occupaient deux des cinq quartiers de la ville. Cela signifie que leur influence était très grande au plan scientifique, culturel et religieux. Beaucoup de Juifs d'Alexandrie exerçaient des responsabilités douanières et commerciales dans le port d'Alexandrie.
Que dit le rédacteur du livre de la Sagesse ? Essentiellement trois choses.
La première décrit la destinée humaine selon Dieu. En vue de raffermir la foi des Juifs d'Alexandrie, une ville païenne avec ses temples dédiés aux idoles, le rédacteur de la Sagesse oppose la destinée des justes à celle des impies qui les persécutent.
La deuxième chose que donne le livre de la Sagesse est un éloge de la sagesse. Le rédacteur met en scène le roi Salomon qui invite les autres rois de l'univers à s'ouvrir aux richesses de la tradition juive. En d'autres termes, le livre de la Sagesse s'adresse aux milieux cultivés d'Alexandrie, capitale mondiale de la science et de la culture, à s'intéresser à l'histoire du peuple juif, depuis les origines jusqu'à la sortie d'Egypte, pour y discerner la Sagesse de Dieu comme maîtresse de l'histoire.
Enfin, la troisième chose que donne le livre de la Sagesse est une méditation du livre de l'Exode, la sortie d'Egypte au temps de Moïse, la vie au désert du Sinaï. A partir du moment où Moïse va trouver le Pharaon pour libérer les Hébreux, le cœur du Pharaon s'endurcit dans le non : il refuse de laisser partir les Hébreux. Dieu envoie à ce moment des plaies, des catastrophes. Le livre de la Sagesse explique, avec beaucoup de profondeur, que les instruments que Dieu utilise pour punir le Pharaon sont les mêmes qu'il utilise pour faire vivre les Hébreux. Par exemple, l'eau du Nil transformée en sang pour punir les Egyptiens devient l'eau qui étanche la soif des Hébreux au désert.
Si Dieu punit ceux qui lui résistent, Dieu punit avec modération. C'est le passage que nous entendons ce matin dans la liturgie : Seigneur, le monde entier est devant toi comme un rien sur la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre. Pourtant, tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu'ils se convertissent (...). En fait, tu épargnes tous les êtres, parce qu'ils sont à toi, Maître qui aimes les vivants, toi dont le souffle impérissable les anime tous. Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent, pour qu'ils se détournent du mal et croient en toi, Seigneur.
Nous reconnaissons ici la patience manifestée par le Seigneur devant son peuple au désert, chaque fois qu'il s'est détourné de Dieu : le veau d'or ou l'idolâtrie ; la mise de Dieu à l'épreuve parce qu'on avait faim, parce qu'on avait soif ; l'épisode des serpents qui mordaient les Hébreux, qui, en regardant un serpent d'airain présenté sur un poteau élevé, avaient la vie sauve. Dieu est patient parce qu'il croit que l'être humain pécheur verra un jour qu'il s'est trompé. A ce moment-là, il se convertira et sera sauvé.
Ce texte est rédigé quelques décennies avant la naissance de Jésus.
Il s'applique tout à fait à l'épisode de l'Evangile de ce jour. Nous sommes à Jéricho, une ville très ancienne du IXème millénaire avant Jésus-Christ, disent les spécialistes. Lorsque les Hébreux ont quitté le désert du Sinaï, non plus sous la conduite de Moïse, décédé au désert, mais sous la conduite de Josué, ils sont entrés en Canaan en traversant le Jourdain à Jéricho. C'est dans cette ville que Jésus lève les yeux vers Zachée, qui, dans les branches d'un sycomore, regarde la foule au milieu de laquelle Jésus avance. Jésus sait qu'il s'agit du chef des collecteurs d'impôts, quelqu'un de riche. Jésus lui parle : Zachée, descends vite : aujourd'hui il faut que j'aille demeurer dans ta maison. Zachée accueille Jésus dans sa maison. Et il est transformé. Debout, il s'adresse à Jésus : Voici, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j'ai fait du tort à quelqu'un, je vais lui rendre quatre fois plus. Zachée a compris qu'il avait exagéré dans le montant des sommes qu'il avait imposé pour exercer sa profession.
Jésus connaît la réaction des gens devant le fait d'aller manger chez le chef des collecteurs d'impôts : Jésus est allé loger chez un homme qui est un pécheur. Aussi, Jésus répète ce qu'il a déjà dit au début de son ministère au moment de l'appel de Lévi : Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu'ils se convertissent (Luc 5, 32). Pour Zachée, il dit : Aujourd'hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d'Abraham. En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.
Dans la prière qu'il a rédigée pour l'année de la Miséricorde, le Pape François parle de Zachée. Le récit à propos de Zachée est si proche du récit de l'appel de Matthieu. C'est dans le pardon, la conversion, que Jésus appelle un disciple et l'envoie en mission.
Le récit de ce jour est destiné à ceux qui accueillent Jésus dans leur maison, en réponse à la demande de Jésus : aujourd'hui, il faut que j'aille demeurer dans ta maison. Nous accueillerons Jésus dans notre cœur au moment de communier à son Corps et à son Sang.
Le récit de ce jour est destiné à ceux qui se laissent transformer au contact de Jésus, en écoutant sa parole. Nous allons regarder dans notre vie le tort que nous avons fait. Et nous prendrons les décisions qui s'imposent pour réparer le mal commis. Car, avec Zachée, nous sommes des fils d'Abraham, que Dieu aime avec patience, dans l'attente de notre repentir.
Pour nous accompagner sur le chemin de la conversion, nous avons la prière des saints. Dans la deuxième lecture de ce jour (2 Thessaloniciens), l'apôtre Paul écrit : Nous prions pour vous à tout moment afin que notre Dieu vous trouve dignes de l'appel qu'il vous a adressé ; par sa puissance, qu'il vous donne d'accomplir tout le bien que vous désirez, et qu'il rende active votre foi. Dans l'Eglise nous avons beaucoup de chrétiens qui prient. Ils prient pour tous les hommes, et ils prient aussi pour nous afin de nous fortifier dans la réponse à l'appel que nous recevons de Dieu.
+ Guy Harpigny,
Evêque de Tournai
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